Jack White remet au goût du jour les sulfureuses seventies
Rédaction : Apollonios le 23 septembre 2024
Reconnu comme le plus jeune "guitar hero" et comme l'un des plus prolifiques compositeurs du nouveau millénaire, Jack White (de son vrai nom John Anthony Gillis) ne cesse de surprendre. Véritable orfèvre de la note bleue et de tout son patrimoine, il a su avec magnificence adapter la substance traditionnelle de la musique américaine (en grande majorité le blues, mais aussi la country, la folk, le gospel, la soul...) au rock alternatif ayant explosé dans les années 90, permettant ainsi d'unifier deux époques reculées mais semblables de par l’instillation similaire d'une émotion brute et authentique, accompagné notamment des suédois de The Hives ou les new-yorkais de Yeah Yeah Yeahs.
On sait que Kurt Cobain appréciait The Shaggs, mais avec Jack White (grâce aux White Stripes), on assiste à un remblayage artistique plus étendu, au succès sans précédents (dont n'ont pas joui des formations semblables de Détroit, telles que The Hentchmen ou The Dirtbombs ; la scène détroitienne a par ailleurs déjà été répertoriée par mr. White en 2001 sur la compilation "Sympathetic Sounds of Detroit" !), à cheval entre deux siècles d'évolution musicale, lorsque l'on apprend par exemple que le tout premier album des White Stripes, contient un extrait du légendaire Son House sur le titre "Cannon" ("John the Revelator" lui est dédicacé) ; ce dernier étant repris ensuite sur "De Stijl" avec "Death Letter", relayé par "Little Room" sur le recueil "White Blood Cells" (dédicacé à Blind Willie McTell), étant la version de White de "Grinnin' in Your Face" du patron du Delta Blues ! On a ensuite, pour résumer, les réalisations des autres Link Wray et The Trashmen, relayés dans les eighties par The Cramps et Flat Duo Jet, qui donneront la marque de fabrique incroyable des White Stripes. "Seven Nation Army" reste peut-être encore aujourd'hui le morceau le plus populaire du XXIème siècle, même pour ceux ne possédant pas de culture rock.
Sans aller jusqu'à résumer la carrière entière du duo des "lignes blanches", dont le tracé fut définitivement interrompu en 2011, afin d'éternellement marquer l'horizon du rock, intéressons-nous à ce qu'à produit mr. White au délà. Entre 2006 et 2011, avec les dynamiques The Raconteurs et les sombres The Dead Weather, notre hyperactif mélomane ne reprend jamais son souffle. Et dès 2012 s'inaugure son aventure personnelle avec "Blunderbuss" puis "Lazaretto" en 2014, qui approfondissent ce qu'a légué notamment le "Get Behind Me Satan" des Stripes en 2005. A partir de "Boarding House Reach", Jack White dépasse ses limites et expérimente à la manière de Brian Eno. Après un album folk laissant apparaître une facette plus flegmatique de la légende de Détroit, 2024 annonce un retour (tant attendu) aux sources.
Une approche très punk transpire la venue de cette nouvelle galette, car elle n'a pas d'illustration et n'est pas réellement baptisée. Elle est ironiquement nommée "No Name", dans un esprit rappelant le quatrième volume de Led Zeppelin, parfois intitulé "Untitled". La mi-juillet, à Londres, Détroit, et Nashville, dans les boutiques du label Third Man Records (conçu et dirigé par Jack White), sont inclues, à l'insu de tout le monde, des copies de cette création, pour chaque acheteur chanceux d'une quelconque production de la fabrique du "Doc" Gillis. Celle-ci ne tardera pas à encourager les possesseurs de cette plaque à la diffuser gratuitement sur internet. White apaisera les affamés en dévoilant la sortie officielle de ce brulot pour début août, ornée d'un bleu marine déjà représentée depuis les débuts de son envolée intime.
Les internautes et la presse sont unanimes : c'est une franche réussite de la part de notre légende américaine, récupérant la toison artistique qui fit tant d'émoi autour du globe. La situation est étrangement drôle et attachante, car alors qu'aucune promotion n'a soutenu l'album, on le considère déjà comme son plus glorieux. "No Name" est purement et simplement un regard prononcé vers l'essence des White Stripes ! "Old Scratch Blues" ouvre admirablement l'offrande sur un lead bluesy, surplombé par une lourdeur très Black Sabbath/Soundgarden ! Sans citer tous les titres, on retiendra "Bless Yourself", qui fait écho à "Dead Leaves and the Dirty Ground" ; avec le refrain de "That's How I'm Feeling" (Olivia Jean, la femme de White, étant à la batterie), très Sex Pistols, on pense à "Fell in Love With a Girl" ; on retrouve l'influence de la bande à Johnny Rotten sur "Missionary" ; "It's Rough on Rats", c'est "Catch Hell Blues" seconde partie ; "Archbishop Harold Holmes", c'est "Immigrant Song" de Led Zep (avec à la basse Scarlett White, la fille de Jack !) ; "Bombing Out" et "Morning at Midnight" sont les réminiscences des Stooges ! Derrière les futs, on retrouve Patrick Keeler, lequel a joué sur "Blunderbuss", "Lazaretto", et avec The Raconteurs.
Ainsi, les aficionados de la première heure des White Stripes seront enchantés, tandis que les nouveaux arrivants dégusteront une superbe découverte, en 2024, du garage punk et du hard rock, très situé, tel qu'on la vu plus haut, entre les Stooges et Led Zeppelin. On a qu'une hâte, c'est de vivre l'intensité de tous ces morceaux en concert. Même après avoir succédé dans des territoires plus expérimentaux (très intéressants), cela n'a pas empêché l'égérie, que dis-je, la survivance du rock, d'intégralement se renouveler et de revêtir la fougue que l'on lui connaissait vingt ans auparavant !
8,5/10
Le maître de Détroit entouré de sa nouvelle thématique de couleurs : bleu, blanc, et noir.
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Photo de couverture extraite du clip "That's How I'm Feeling" - Jack White