Beach Boys et Beatles : l’interview rare de Mike Love en 1980
Écrit par Daniel Lesueur le 16 août 2025
Les archives de Daniel Lesueur rouvrent leurs trésors !
Les Beach Boys bouclent leurs vingt ans de carrière et viennent nous rendre visite. Le retour de la vague ! À Paris pour un unique concert au Palais des Sports, leurs fans ne furent pas déçus puisque la majorité des morceaux interprétés furent puisés dans leur intarissable répertoire de hits, de "Good Vibrations" à "Barbara Ann" en passant par "I Get Around", "God Only Knows"... Tous ces vieux tubes n’ont vraiment pas pris une ride, la magie opère, même si la fête, témoignant d’un passé envolé, semble un peu triste. Un concert de charme, une interview de choc. Une rencontre inoubliable. Surtout pour moi qui ai une peur bleue de l’avion, et dont le seul espoir de voir les Garçons de la plage reposait jusqu’alors sur une hypothétique venue en Europe. Chance, la tournée passe par la France. Re-chance : leur notoriété quelque peu écornée par l’absence de tube (le dernier, « Do It Again », remonte à 1969. Onze ans en arrière !) les contraint à faire les yeux doux aux médias pour reconquérir des fans indolents. Autant par obligation que par courtoisie, les Beach Boys m’accorderont une longue interview, chose impensable du temps de leur splendeur. Enfin, quand je dis « LES[…] » Beach Boys, entendons-nous bien : Brian Wilson est absent, physiquement et intellectuellement (j’avais pu le remarquer, déjà, durant le concert. Pour saluer la foule enthousiaste, ses comparses avaient dû l’accompagner, presque le porter jusqu’au micro). Mike Love semble en toute évidence lui avoir succédé en tant que porte-parole du groupe ; Brian l’a-t-il jamais été, d’ailleurs, lui si timide et si introverti ?). Replacez-vous dans le contexte : nous sommes au printemps 1980, bien longtemps après « Good Vibrations », bien longtemps avant «Kokomo»
Les Beach Boys et les Beatles : amitié, inspiration et rivalité
- Daniel Lesueur : Une légende court sur son compte : Paul McCartney serait présent sur un titre, «Vegetables ». Est-ce exact ?
- Mike Love : Oui, il était présent aux séances d’enregistrement de ce titre. On colporte qu’on l’entend manger du céleri devant le micro. Pour ma part, je considère qu’il devait s’agir de haschich plutôt que de céleri. Mais qui sait ? Ces séances étaient assez fumeuses, si je peux me permettre l’expression, et quiconque y a participé aurait aujourd’hui bien du mal à s’en souvenir avec précision, dans l’état où tout le monde se trouvait !
- DL : Vous étiez très acolytes avec les Beatles, à cette époque, semble-t-il…
- ML : C’est indéniable. J’étais auprès de Paul durant son séjour en Inde, et je pense avoir eu un peu d’influence sur lui. D’ailleurs « Back In The USSR » est un hommage appuyé à notre style musical. Au cours d’un petit déjeuner, Paul était assis à côté de moi. Il est arrivé avec une guitare sèche et a joué l’ébauche du titre. Je lui ai suggéré de parler des filles russes, un peu comme nous dans « California Girls »… mais en l’occurrence il faudrait vanter la beauté des filles d’Ukraine et de Géorgie.
- DL : Au-delà de l’amitié qui vous liait, y-avait-il également rivalité avec les Beatles ? On raconte en effet que Brian a perdu la boule en voyant « Sergeant Pepper’s… » arriver chez les disquaires au moment où il était sur le point de livrer son grand’ œuvre au public ?
- ML : C’est la raison généralement invoquée… mais l’on omet de rappeler que nous étions à cette époque en délicatesse avec Capitol. En mars 1967, nous les poursuivions en justice pour des royalties non versées. Bref, même si un album avait été prêt, nous, nous ne l’aurions peut-être pas proposé à Capitol… et Capitol de son côté n’aurait peut-être pas accepté de le sortir, pour nous « punir » ! Plus d’un an avant que les Beatles ne fondent Apple, nous étions déterminés à mettre sur pied notre label Brother Records.
- DL : Sans vouloir déprécier la qualité intrinsèque de « Pet Sounds », il faut bien admettre que sa pochette, par exemple, n’arrive pas à la cheville de celle de « Revolver », son contemporain...
- ML : Oui, mais elle colle bien au titre, puisque « pet » sont les animaux, les animaux de compagnie principalement. En fait le titre est venu après : nous étions en séance de photo au zoo de San Diego, et, en voyant les animaux, j’ai suggéré le titre « Pet Sounds ». La pochette n’est peut-être pas géniale, en tout cas pas très inventive, mais à l’époque je ne m’en souciais guère. D’ailleurs, un jour Paul McCartney m’en fit la réflexion : « Mike, vous devriez faire un effort pour réaliser des pochettes un peu plus élaborées ». Je l’ai remis à sa place, en lui expliquant que nous visions surtout à soigner le contenu. Ça lui a cloué le bec !
En concert, les Beach Boys étaient-ils meilleurs que les Beatles ?
C'est la question que l'on peut se poser à l'écoute du fabuleux concert du 22 octobre 1966 des Garçons de la Plage à Michigan. Ces mêmes Beach Boys qui, d'ailleurs, rendent un vibrant hommage à leurs grands frères d'outre-Atlantique via une formidable version de "You've Got To Hide Your Love Away".
22 octobre 1966...
Cette date n'est pas anodine : deux mois plus tôt (le 29 août), à San Francisco, les Beatles donnaient leur dernier concert (si l'on excepte, bien sûr, un "Bœuf sur le toit", comme dirait Jean Cocteau).
Pourquoi les Beatles ont-ils cessé de se produire en concert, et pas les Beach Boys ?
La raison officielle de la retraite "live" des Beatles était, pour eux, l'impossibilité de reproduire sur scène le son qu'ils avaient en studio. Mais les Beach Boys, eux, y parviennent, puisque leurs versions, en ce 22 octobre 1966, de titres élaborés comme "Good Vibrations" ou "God Only Knows" sont excessivement brillantes.
Qu'est-ce qui fit la différence ?
Si l'on en croit les porte-paroles des Beatles, ce sont leurs fans, qui, à trop hurler, les empêchaient de se concentrer... ce qui ne semble pas être le cas des admirateurs et admiratrices des Beach Boys. Bref, en un mot comme en cent, "c'est la faute aux fans" !

Déçu de ne pas toucher de droits d'auteur sur certaines chansons qu'il jure avoir composées, Mike Love se laisse aller à dévoiler certains secrets...
- Daniel Lesueur : Les Beach Boys, à une certaine époque, ont-ils souffert de problèmes d’égo?
- Mike Love : C'est exact, et il nous a fallu apprendre comment chacun réagissait pour arriver à surmonter ce genre de questions. Nous ne sommes pas parfaits, et nous devons surmonter les faiblesses individuelles. Les Beach Boys sont un puzzle, mais il se tient ! Nous sommes différents les uns des autres, et n'avons donc pas les mêmes réactions face à des problèmes donnés. Il en va de même en studio, où les intérêts sont différents: la composition, les textes, les arrangements, la production, les harmonies vocales, etc... Moi je n’aime pas enregistrer, ça m’ennuie. La technique est loin de me passionner. Je détesterais produire un album. Je ne comprends pas comment on peut passer des mois en studio. J’ai rapidement envie de sortir, aller au cinéma ou me promener. Ce qui me branche, c’est le sens des paroles et la capacité de la mélodie à devenir un tube. Tout le reste n’est souvent qu’un exercice égocentrique. Si je réalisais un album, je préférerais l’écrire et déléguer la production à autrui.
Mike Love, un auteur influent
- DL : Votre implication en tant que parolier se fait surtout sentir sur « Wild Honey », album sur lequel vous signez neuf des onze textes, contre un seul sur « Pet Sounds ».
- ML : Logique, j’étais en tournée avec le groupe lorsque Brian réalisa « Pet Sounds ». Je me suis fait piquer ma place de parolier par Tony Asher.
- DL : Le succès et les royalties relatives aux paroles de « Good Vibrations » vous avaient-ils incité à écrire davantage ?
- ML : Ca m’a surtout incité à plus de rigueur et plus de prudence ; je dois m’obliger à moins faire confiance à autrui. J’écris des chansons depuis l’âge de dix ans, et, pour les Beach Boys, j’ai écrit de nombreux morceaux de textes, portant sur une vingtaine ou une trentaine de chansons, pour lesquels je ne suis pas crédité, et qui auraient dû me rapporter des millions.
Un exemple type : « California Girls »
ML : L’idée m’en est venue de retour de tournée. Après avoir sillonné le monde, je rentrais au bercail, heureux de constater que les filles, en Californie, étaient toujours aussi jolies: c’est du Mike Love, indiscutablement. Pourtant je ne suis pas crédité. Et cette situation remonte pratiquement à nos débuts. Prenons « 409 », « Catch A Wave », « Little Saint Nick », « Help Me Rhonda », « Be True To Your School » que j’ai co-écrits, et qui pourtant ne me sont pas co-crédités : Brian se les est appropriées à cent pour cent. Pareil pour « All Summer Long ».
Un jour j’intenterai une action en justice pour être rétabli dans mes droits d’auteur !
J’ai mis la main à la plupart des titres qui sont devenus des tubes. C’est moi notamment qui ai pondu la première ligne de " I Get Around » / Round, round, get around, I get around", une accroche géniale.
Al Jardine pourra en témoigner. En revanche, à l’égard de ses frères, Brian se montrait nettement moins pingre : j’ai demandé à Carl s’il avait vraiment écrit le texte de « Dance Dance Dance ». Et non ! Il a seulement trouvé la ligne de guitare. Pourtant il est crédité pour 50% du titre.
Mon erreur fut de ne pas entrevoir la valeur de mes écrits. J’écris rapidement, sans difficulté aucune. Du coup je ne réalise pas que mes lignes valent de l’or car elles sont faciles à faire jaillir. Un exemple typique : « Wild Honey ». C’était l’époque où l’on commençait à se préoccuper de ce qu’il y avait dans nos assiettes. On cherchait à consommer des produits sains et naturels, non trafiqués. Et, un jour de répétition à la maison, tandis que Brian et les autres travaillaient une musique, je suis allé préparer le thé, je suis tombé en arrêt sur un pot de miel dit « sauvage ». J’ai écrit les paroles dans la foulée. Ca va vite, une fois que l’inspiration est sur les rails. Des fois, des événements précis coïncident avec l’écriture d’une chanson. Je me souviens que nous avons créé « The Warmth Of The Sun » vers une heure ou deux du matin le jour de l’assassinat de John Kennedy.
Daniel Lesueur.
Retrouvez l'intégralité de cette interview dans le livre de Daniel Lesueur "Les Masques et la Plume: Mes interviews pop, rock et chanson" : https://amzn.eu/d/4nHaAhE
Daniel Lesueur a débuté sa carrière comme journaliste dans la presse musicale, réalisant plus d’une centaine d’interviews. Beaucoup ont malheureusement disparu : à l’époque des mini-K7, on réutilisait souvent les bandes par souci d’économie, une fois la transcription effectuée. Dans ce recueil, il rassemble les entretiens dont il a pu retrouver une trace.
Auteur infatigable, journaliste de la presse musicale, homme de radio, collectionneur passionné, producteur d'artistes...