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Björk : Post et Homogenic la confirmation

Rédaction : Christophe Billars le 24 mai 2023

1995/1997 la confirmation

Après le grand succès de “Debut” (1993), Björk collabore avec Tricky qui, lui aussi, est tout auréolé après la grande réussite de son premier album post Massive Attack “Maxinquaye” (1995). Björk écrit deux titres pour l’album de son projet “Nearly God” (1996) qui se situe dans la mouvance trip-hop qu’il a contribuée à créer. C’est donc tout à fait logiquement qu’elle va collaborer pour son deuxième album avec Nelle Hopper et Tricky pour façonner le son de “Post” qui sort en 1995.

post bjork

La pochette bigarrée exprime assez bien les multiples couleurs sonores qu’affiche ce deuxième album dont le titre évoque un « après » au succès du premier. En effet, on sait qu’il est toujours difficile de passer le cap du deuxième album. Cependant, que ce soit artistiquement ou en termes de succès, Björk va franchir l’obstacle allègrement en explorant des ambiances variées. “Army of me” qui ouvre l’album est bourré d’arrangements métalliques et industriels, et avance telle une machine pesante qui écraserait tout sur son passage juste avant “Hyper-ballad” qui est beaucoup plus délicate, sur une rythmique à la fois électronique et presque jazzy qui s’affole sur la fin du morceau.

The modern things” débute presque a capella, la voix de Björk n’étant soutenue que par quelques bidouillages électroniques ténus. Voix qui n’hésite pas à s’écarter des sentiers battus, murmurant puis rugissant quitte à en être irritante. Puis c’est résolument vers le jazz et ses giclées de cuivres que nous entraîne “It’s oh so quiet” reprise de Betty Hutton qui sera le plus gros tube de l’album. Encore une fois, Björk y passe du murmure aux hurlements et réalise une performance vocale impressionnante. On peut cependant, c’est mon cas, rester totalement froid à ce déchainement tout en reconnaissant la qualité de l’ensemble. On reconnait la patte de Tricky dans le sombre et complexe « Enjoy » que l’anglais coécrit : nappes qui grondent, rythme frénétique, ambiance POST apocalyptique. C’est un des morceaux les plus expérimentaux et passionnants de l’album. Le contraste est saisissant avec « You’ve been flirting again » qui suit dont le dépouillement est à l’exact opposé. Seules des cordes accompagnent Björk au chant. Mais ce sont déjà les percussions d’« Isobel » qui résonnent, fantastique morceau, sans doute le sommet de l’album, qui, mariées avec des cordes et la voix sans failles de Björk, orchestrent une fabuleuse montée en puissance dans une atmosphère quasi onirique. Une merveille.

Ce sont les boucles de « Possibly maybe », son beat feutré, son ambiance trip hop qui assurent un atterrissage en douceur tout en confirmant à quel point le travail sur les textures sonores est impressionnant sur « Post ». « I miss you » est porté par sa rythmique foldingue, ses giclées de cuivres sur boucles électroniques et percussions avant le ralentissement de « Cover me » qui confine à l’ennui. L’album se clôt sur la deuxième collaboration avec Tricky. « Headphones » est très atmosphérique, rythmé par un tapis de percussions électroniques sourdes qui nous emmènent dans une espèce de rêve éveillé assez fascinant.

Si le deuxième essai de Björk est réussi, que dire alors du troisième et extraordinaire album « Homogenic » sorti en 1997 ? Certainement qu’il est peut-être le sommet créatif de sa carrière et une pierre angulaire des 90’s.

homogenic bjork

Quelle transformation au vu de la pochette de l’album quand on compare l’image de Björk avec celle, toute naturelle de « Debut » ! Se représentant en geisha japonaise portant un collier de femme girafe, on voit que désormais Björk considère son travail comme un art total, joue avec sa propre image jusqu’à ce que, plus tard, sa musique se transforme en un véritable concept, mais c’est une autre histoire.

Pour l’heure, en 1997, elle s’entoure d’un nombre impressionnant de musiciens qui vont d’un joueur d’accordéon japonais, en passant par un orchestre de chambre sur l’extraordinaire « Bachelorette » et une section de cordes. On retrouve des instruments inhabituels tels que le clavecin et l’harmonica de verre. Le tout est produit par Mark Bell fondateur de LFO, grand manitou de la musique électronique au début des 90’s et qui sera le sorcier du son d’«Homogenic ». D’une modernité qui n’a pas pris une ride, l’album est dominé par les rythmes et sonorités électroniques vrillés, hachés, destructurés auxquels les instruments traditionnels et en particulier les cordes apportent une présence et une chaleur omniprésentes. Les compositions sont à l’unisson et, comme son nom l’indique, l’album affiche une cohérence encore jamais atteinte par Björk.

Dès « Hunter », l’immense ouverture, on sait que Björk a passé la vitesse supérieure. Ses montées de cordes, ses superpositions complexes de rythmes, ses « ouh ouuuh » aux chœurs et la mélodie sublimée par l’interprétation en font un titre majeur.

C’est un octuor à cordes zébré de scratches électroniques qui accompagne la chanteuse sur « Jòga », écrite pour sa meilleure amie et formidable numéro de funambule en apesanteur, tout comme « Unravel » d’ailleurs qui impressionne par sa combinaison de textures électroniques et d’instruments tels que la harpe. Mais c’est bien sûr le chef d’œuvre absolu qu’est « Bachelorette » qui constitue le sommet de l’album et peut-être de l’œuvre de Björk ici réussissant une performance de chanteuse hallucinante. Un orchestre de chambre au complet et une base rythmique galvanisante donnent à la chanson une dimension époustouflante, d’un lyrisme déchirant. On n’affronte pas « Bachelorette » dont on se rend compte à postériori qu’elle était déjà présente en germes dans « Isobel » sur l’album « Post » (1995).

« All neon like » pourrait être la B.O de « Blade Runner » pendant sa longue introduction avant de se transformer en une balade cosmique rythmée par une pulsation sourde. « 5 years » est traversée en tous sens de crissements, raclements électroniques et semble comme émerger de la boue avant de prendre sa forme définitive et de décoller sous l’impulsion de l’Icelandic String Octet. Le magnifique « Immature » travaille le velours de nappes ambient, « Alarm call » est tout en cassures rythmiques tandis que « Pluto » est bien le contemporain allumé et énervé des débuts de Daft Punk, bombardé de riffs électroniques et des cris de Björk dont la voix est déformée, tordue.

L’album se termine par le très ambient « All is full of love” signé Howie B où les voix superposées de Björk semblent se répondre et se déployer à l’infini.

La première partie de la carrière de Björk s’achève donc sur cet album incontournable qui la consacre définitivement comme une artiste à la pointe de l’expérimentation qu’elle met toujours au service de chansons inspirées. C’est cet équilibre fragile entre recherches sonores et émotions que « Homogenic » parvient du début à la fin à maintenir et qui va petit à petit se fissurer par la suite.

Au prochain épisode…

Retrouvez les chroniques de Christophe Billars également sur son blog Galettes Vinyles

Auteur

Passionné de musique, lui-même musicien, compositeur et parolier. Sur Poptastic, Christophe livre régulièrement des critiques affûtées sur les albums d'artistes britanniques ou en rapport avec la scène musicale britannique.